Dans le Sillon

Dans le Sillon, Edmond-Ernest Chrétien, 1924, Bronze
, 60 cm x 45 cm x 46 cm. Inv. 2016.2.1

Achat à la Galerie Mably, Bordeaux par l'Association des Amis du musée d'Aquitaine, don des amis du musée d’Aquitaine en 2015.

Né à Paris, Edmond-Ernest se forme dans l’atelier de son père, le sculpteur Eugène-Ernest Chrétien (1840-1909) avant d’entrer à l’Ecole des Arts Décoratifs puis à l’Ecole des Beaux- Arts. En 1912, il est admis à la Société des Artistes Français dont il devient sociétaire perpétuel à partir de 1922 mais expose cependant peu au Salon. Mobilisé pendant la guerre, il se marie (le 10 mars 1915) avec Marie-Thérèse Lepollart à Bordeaux où il s’installe rue du Palais Gallien. Dès 1920, il expose régulièrement au Salon de la Société des Amis des Arts de Bordeaux et concentre son activité dans le Sud-Ouest. Lorsqu’il meurt à Bordeaux le 21 janvier 1945, Edmond Chrétien est considéré comme un artiste bordelais et, en 1947, ses œuvres figurent à la rétrospective des Maitres bordelais contemporains organisée par L’Atelier.

Bien que sa production reste variée (Sacré-Coeur couronnant Saint-Ferdinand d’Arcachon, 1927, nombreux bustes ...), il se spécialise dans la réalisation de sculptures destinées aux monuments aux morts. Le grand mouvement de commémoration qui naît au lendemain de l’armistice donnera lieu à une véritable industrie avec des productions inégales mais, si de nombreux monuments de médiocre qualité réutilisent de façon répétitive quelques sujets privilégiés, d’autres sont des créations uniques.

En 1925 Chrétien présente ce bronze, Dans Le Sillon, au Salon de la Société des Amis des Arts de Bordeaux (n° 642, au prix de 2.300 francs). Un paysan a suspendu son labeur, sa charrue gît au sol, enfoncée dans la glaise. Immobile, il se recueille devant le corps de ce soldat anonyme, englouti par la terre à l’endroit où il mourut et qu’il vient de découvrir en traçant son sillon. A ses pieds, sous le casque d’acier, apparaît l’ébauche d’un visage. Ses vêtements sont représentés avec des volumes simplifiés, animés par des touches qui font vibrer la surface. La terre lourde est comme une ébauche encore marquée du geste du modeleur, inachevée. La lumière joue sur les aspérités, créant des ombres et des reflets qui mettent en valeur la surface lisse et brillante du casque d’acier Adrian, traité avec un souci d’exactitude et nettement identifiable avec sa coque à cimier et ses visières. L’attitude, d’une grande justesse traduit tout le poids du souvenir d’une tragédie si récente. Cet homme d’âge mûr, s’il n’a combattu lui-même, a vécu la douleur de la mort d’un proche et connu la détresse des familles qui n’ont pas vu revenir un père, un frère ou un fils.

La composition équilibrée n’est pas frontale mais faite pour être vue sous différents angles et invite le spectateur à tourner autour de l’objet pour en découvrir tous les aspects. La masse compacte du monticule de terre est un véritable piédestal qui donne force et dignité à la figure du laboureur. Il atteint ainsi à une monumentalité et une puissance qui, malgré la différence d’échelle, font penser à la femme endeuillée qu’il créera peu après pour le monument aux morts de Campan ; ils traduisent le même sentiment de solitude. Solitude face à la mort et solitude dans la mort pour ce soldat, probablement enseveli lors d’un bombardement et auquel sa famille n’a pu donner de sépulture. La représentation devient symbole du drame humain. Dans la lignée du naturalisme de Jules Dalou, ce laboureur fait écho à certains monuments aux morts de Félix Desruelles ou de Maxime Real del Sarte.

L’inscription « Dans le Sillon par Edmond Chrétien 1924 » ainsi que le cachet du fondeur « Leblanc-Barbedienne & Fils à Paris » et l’indication de la technique à la cire perdue sont profondément marqués dans le bronze et bien lisibles. Le bronze, tirage unique à la cire perdue, est fondu par la maison Barbedienne qui travaille avec les plus grands sculpteurs, dont Rodin, et réalise de très nombreux monuments commémoratifs.

Quelle est la destination de cette œuvre ? Ce sujet, rare pour un petit bronze, est-il lié à une commande de monument public ou d’anciens combattants ? A-t-il été conçu uniquement comme un objet décoratif ? Présenté au Salon de la Société des Amis de Arts en 1925, il semble qu’il ait toujours appartenu à des familles de la région jusqu’à son acquisition par la Société des amis du musée d’Aquitaine pour les nouvelles salles du XXème siècle du musée.

Catherine Bonte
Pour en savoir plus : www.amis-musee-aquitaine.com

 


Dans le Sillon, Edmond-Ernest Chrétien
1924, Bronze
, 60 cm x 45 cm x 46 cm
Inv. 2016.2.1
© L. Gauthier, mairie de Bordeaux

Dans le Sillon, Edmond-Ernest Chrétien © L. Gauthier, mairie de Bordeaux

Dans le Sillon, Edmond-Ernest Chrétien © L. Gauthier, mairie de Bordeaux