Avril 2014 - Kalamkari

Don des Amis du musée d’Aquitaine en 1999 en collaboration avec les Amis du musée des Arts décoratifs : exposition "La Route des Indes. Les Indes et l'Europe : échanges artistiques et héritage commun, 1650-1850", présentée du 11 décembre au 14 mars 1999
Andra pradesh , Inde, 1998. Coton peint. H. 300 x L. 200 cm. N°inventaire : 2003.7.1

L'association des Amis du musée d'Aquitaine fête ses 20 ans ! Le bel âge ... et deux décennies d'acquisitions ! Ce mois-ci, ils sont à l'honneur avec l'exposition "Victor Louis et Pierre Lacour" et nous revenons avec eux sur une belle acquisition, un Kalamkari indien, commandé à l'occasion de l'exposition "La Route des Indes" qui a eu lieu en 1999.

      

Dans un style narratif très vivant, 60 petits tableaux accompagnés de légendes en français et en hindi, retracent l'histoire de l'Inde de l'arrivée de Vasco de Gama à nos jours ainsi que ses rapports commerciaux avec Bordeaux et les grandes dates de l'histoire de France. Au centre, une carte de l'Inde et le blason de Bordeaux "de gueules à la Grosse-Cloche ouverte, ajourée et maçonnée de sable, sommée d'un léopard d'or ; à la mer d'azur, ondée de sable et d'argent, chargée d'un croissant aussi d'argent ; au chef d'azur, semé de France". Autour, les aventures de personnages hauts en couleurs comme Augustin Hiriard se mêlent aux grands évènements historiques, aux scènes de bataille ou de marché selon le projet conçu par sa commanditaire, Bérénice Ellena à l'occasion de l'exposition "La Route des Indes".

Cette artiste d'origine bordelaise, styliste, costumière et photographe, se définit comme une "nomade, collectionneuse d'éphémère". Grande voyageuse, elle a parcouru le monde et s'est passionnée pour l'Inde ; sa quête des techniques traditionnelles de tissages et de teintures naturelles l'a menée dans les villages du sud où les artisans connaissent encore l'art ancestral du kalamkari. De cette rencontre et de son désir de faire connaître le travail de ces artisans est née la commande du kalamkari de Bordeaux sur le thème des liens historiques noués avec l'Inde. En 2004, Bérénice Ellena en fera exécuter un second, pour le musée de l'Impression sur Etoffes de Mulhouse, racontant de façon très didactique la fabrication des indiennes sur la côte de Coromandel. Également auteur, en 2003, de l'ouvrage "Au fil de l'Inde, la route des arts textiles", elle vit depuis maintenant 4 ans à Delhi mais aime passer l'été dans sa maison bordelaise.

Le kalamkari, mot d'origine persane (kalam : pinceau, kari : à la main), désignant une étoffe de coton peinte à la main, est une forme d'art encore pratiquée aujourd'hui dans l'Andra Pradesh, autour du Sri Kalashati où plus de 300 personnes participent à son élaboration, de la fabrication du tissu de coton à la peinture des motifs. L'un des artisans les plus connus est le peintre Niranjan Chetty à qui Bérénice Ellena a confié la réalisation de ce kalamkari d'après ses propres dessins.

La toile de coton Khadi, filée et tissée en Andhra Pradesh, après avoir été immergée une nuit et rincer pour enlever l’apprêt est prête à être traitée. Elle est foulée dans un bain de poudre de myrobolan diluée dans du lait de bufflesse. Tordue et retordue, elle doit absorber le plus de graisse et de tanin possible. Séchée, puis étalée sur un molleton, à l’ombre, elle est prête à recevoir l’esquisse exécutée au charbon de rameaux de tamarinier.

Puis l’artisan dessine toutes les lignes noires définitives à l’aide d’un kalam (stylo de bambou muni d’une réserve qui absorbe la teinture). Le noir a été préparé en faisant macérer des ferrailles rouillées avec de la mélasse de canne et de l’eau. Une fois les lignes terminées et sèches, bien noires, on applique l’alun avec un kalam plus épais sur les zones prédéterminées, destinées à être rouges.

Le lendemain, la toile est rincée dans la rivière, en laissant la surface du courant la frotter doucement. Séchage au soleil sur le sable sec. Dans un pot de cuivre, la teinture (surulupatta ou Ventilago madraspatana et chavalikodi ou Oldenlandia umbellata + pabaku ou Casuarina equisitifolia), mélangée à l’eau, est mise à chauffer et le tissu y est plongé et malaxé pendant 15mn. Retour à la rivière pour rinçage et blanchiment : exposition de la toile au soleil, sur le sable calcaire humide, et aspersions successives. L’opération peut demander trois jours. Les parties rouges sont alors bien vibrantes et la toile bien blanche.

Pour peindre l’indigo, il a fallu retraiter la toile au lait de bufflesse pur, afin qu’elle se gorge de graisse. Séchée à l’ombre et au frais quelques jours, elle peut recevoir la mixture d’indigo, sans que la couleur risque de fuser. La teinture est composée de poudre d’indigo, de chaux normale et de chaux de coquillages et de pâte de graines de Cassia tora mises dans de l’eau, le tout a été fermenté pendant quinze jours. Pour les bleus profonds, on a dû répéter l’opération de peinture d’indigo deux fois. Mise au frais une semaine pour que l’indigo ait le temps de se fixer sur les fibres, la toile est finalement lavée. Dans la rivière, maintenue dans le courant et frottée un peu du plat de la main sur les zones bleues. Séchage sur le sable sec, puis dans le vent. 

Il faut minimum trois mois à la famille d’artisans pour réaliser une toile comme celle-ci.

Détail, photo Lysiane Gauthier : à Bordeaux, le vin du château Cos d'Estournel est embarqué pour Calcutta. C'est Louis Joseph Gaspard de Maniban, marquis d'Estournel (1762-1853) surnommé "le Maharadjah de Saint-Estèphe" pour son amour des voyages, en particulier aux Indes qui fit construire l'extraordinaire façade des chais, au début du XIXe siècle, dont les tours "pagodes" couronnent des avant-corps au crénelage orientalisant. 

Détail, photo Lysiane Gauthier : le port de Bordeaux ne reçoit plus de toiles indigotées mais des paquebots débarquent les touristes en blue-jeans. 

 

 

Kalamkari - photo Lysiane Gauthier

Kalamkari - photo Lysiane Gauthier