Une sculpture remarquable

Le musée d'Aquitaine présente dans son exposition permanente un superbe et rare gisant médiéval.
 
C'est dans le parc du château de Tustal, en Gironde, que ce gisant d'un chevalier du début du XIIIe siècle était conservé jusqu'en 2000, avant d'être déposé au musée d'Aquitaine par son propriétaire. Après avoir été restauré et étudié, il fut la vedette de l'exposition Vie et mort d'un chevalier et connut un succès outre-Atlantique au Québec, lors de l’exposition Gratia Dei, les Chemins du Moyen Age
 
De dimensions imposantes (plus de 2 mètres de long et d'un poids d'environ 650 kg), il figure vraisemblablement un seigneur de Curton, identifié potentiellement grâce au lion couronné ornant son écu. Représenté en armes, le corps protégé d'un gambison (pourpoint d'étoffe rembourré), la tête et les jambes couvertes d’une cotte de mailles, il porte l'épée au côté.
Monument funéraire à la portée eschatologique (ensemble  de doctrines et de croyances portant sur le sort de l'homme après sa mort), le défunt est représenté prêt à ressusciter le jour du Jugement Dernier, à condition qu'en tant que chevalier il ait toujours poursuivi l'idéal de loyauté, de prouesse et de largesse propre à cette élite guerrière caractéristique de la société médiévale.
 
La représentation sculptée d'un chevalier
 
Sculpté dans un bloc calcaire massif de qualité moyenne provenant de l'Entre-deux-Mers, ce gisant revêt des dimensions imposantes, même si elles ne sont pas exceptionnelles. 
Le gisant représente un chevalier, d'où son intérêt puisque de telles effigies sont assez rares. 
Le personnage est allongé, la tête reposant sur une sorte de coussin. Les jambes sont étendues. Les pieds sont droits et parallèles. Ses mains sont jointes à hauteur de la poitrine dans un geste de prière. A ses pieds se trouve un animal acéphale.
Le costume du personnage comprend une cotte de mailles à capuchon, dont les manches sont terminées par des gantelets de même nature et des chausses. Une cotte d'arme complète le tout.  Le chevalier est également équipé d'un gambison et d'éperons.
Un écu de forme assez pointue mais pas très grand complète cet équipement défensif. 
La seule arme offensive est une épée à lame large et assez courte soutenue par une ceinture et contenue dans un fourreau à bouterolle.
L'écu est complété par la sculpture d'un superbe lion couronné qui occupe tout le champ de l'arme.
 
 
Une œuvre à la fois appliquée et maladroite
 
L'application de l'artiste ne fait aucun doute même si son œuvre est loin d'être exempte de maladresses parfois étonnantes, liées à des parties bâclées ou disproportionnées. Il suffit de voir l'écart de traitement du coussin situé sous la nuque du défunt et le ciselage minutieux de la cotte de mailles. L'intérêt artistique de ce gisant est surtout avéré par son sujet. 
 
Un chevalier vieux de huit siècles
 
La datation de ce gisant ne pose pas trop de problèmes même si cette dernière ne peut évidemment que rester approximative.
Il s'agit ici d'un chevalier du XIIIe siècle comme le certifient de nombreux arguments techniques, archéologiques et héraldiques.
L'expression de la sculpture funéraire a connu, au gré des circonstances, des évolutions de style témoignant à la fois du changement des mentalités et d'un renouvellement des techniques. La technique du haut-relief, utilisée ici, par laquelle la dalle funéraire ne devient plus qu'un support sur lequel repose l'effigie du défunt, est bien caractéristique de cette époque.
La stylisation héraldique de l'écu confirme également cette datation. Mais ce qui démontre le mieux le siècle auquel appartient ce chevalier est indéniablement son équipement. L'étude affinée de ce dernier a permis de dater ce gisant entre le deuxième et le troisième quart du XIIIe siècle.
 
Un gisant énigmatique
 
Identifier un gisant anonyme n'est pas chose aisée et relève bien souvent de l'impossible en raison de l'insuffisance des sources, principalement. Aucune documentation directe concernant ce gisant n'a pu être trouvée.
A tort, la tradition populaire a longtemps affirmé qu'il s'agirait de la sculpture funéraire du prince Noir, ce qui est entièrement faux. A moins d'une provenance lointaine qui paraît exclue, compte tenu de l'origine locale de la pierre, ce gisant est certainement le dernier vestige de la sépulture disparue d'un seigneur local.
 
La localisation de ce gisant à Tustal, à l'intérieur d'un nymphée du XVIIIe siècle, n'est pas son emplacement d'origine. On ignore la date de son installation à cet endroit, dont la plus ancienne attestation remonte à 1883. Il ne peut non plus s'agir d'une relique ancienne provenant du château Tustal lui-même, sa construction étant postérieure au XIIIe siècle.
Il semble au contraire raisonnable de songer que ce gisant, qui devait appartenir à un lignage suffisamment important et fortuné pour s'offrir une telle stèle, sans être cependant ostentatoire, provient initialement de l'abbaye de la Sauve-Majeure, éloignée seulement de quelques kilomètres de Sadirac, et dans laquelle de nombreuses familles seigneuriales ont été inhumées.
 
Plusieurs sépultures d'importance sont d'ailleurs attestées par divers écrits et quelques-unes de ces sépultures font clairement l'objet d'un monument funéraire élaboré, mais aucune d'elles n'est décrite. La concordance de plusieurs faisceaux d'indices, tant historiques, syntaxiques que héraldiques, pousse à croire que ce gisant est celui d'un membre de la famille éminente de Curton, dont l'imposant donjon est encore visible de nos jours.
 
Vue du parc du château Tustal à Sadirac
 
Un gisant témoin de l'Histoire
 
Œuvre énigmatique n'ayant pas encore révélé tous ses secrets, ce gisant est cependant un témoignage fascinant des réalités de la chevalerie et de la féodalité en Aquitaine au XIIIe siècle, d'où son intérêt dans les collections du musée d'Aquitaine.
Il illustre cette élite guerrière devenue exclusivement aristocratique à cette époque, tout en témoignant du contexte agité de l'Aquitaine au temps de la rivalité franco-anglaise. En effet, la famille de Curton, connue par plusieurs de ses membres influents, participe, jusqu'à son extinction, à la défense du domaine du Roi-duc tout au long des XIIIe, XIVe et XVe siècles.
En plus de ces quelques évocations que nous suggère ici ce gisant, celui-ci dévoile à nos yeux quelques traits et caractères particuliers de la chevalerie en Aquitaine au XIIIe siècle, sur l'équipement offensif et défensif des chevaliers, l'héraldique du XIIIe siècle, les mentalités eschatologiques et la morale chrétienne face à la mort.
 
Vue du gisant avant restauration 
 
Une œuvre phare du musée d’Aquitaine
 
Transporté avec difficulté depuis Sadirac, le gisant est conservé depuis plus de 20 ans au musée d'Aquitaine. Maculé de petites algues vertes, de lichens et de particules de terre ayant favorisé la germination de graines qui le dégradaient, conséquence de l'environnement humide dans lequel il se trouvait, il a fait l'objet d'une restauration par les services du musée durant l'été 2000. Nettoyé à l'eau puis traité chimiquement à l'aide d'un algicide utilisé en pulvérisations ou appliqué au pinceau tout en étant frotté délicatement, il a retrouvé dès lors son éclat de jadis. Cependant, les fissures révélées au cours de cette restauration ainsi que les remontées de salpêtre depuis le cœur de la pierre nous rappellent combien cette œuvre unique est encore fragile et menacée. 
 
Après restauration, le gisant a directement intégré les salles d'expositions permanentes du musée, par son importance patrimoniale et sa dimension muséographique. Il complète ainsi les collections générales dédiées au Moyen Âge, et plus particulièrement celles concernant la statuaire et ses typologies ainsi que les collections d'art et de pratiques funéraires. Il comble également le déficit des collections du musée relatives à la chevalerie et à la féodalité dont il est un éminent représentant. 
 
 
Le projet d'acquisition
Le propriétaires de l'oeuvre propose aujourd'hui au musée d'Aquitaine d'en faire l'acquisition, afin que cette oeuvre intègre ses collections et continue d'être admirée encore longtemps.
En savoir plus.
 

© Lysiane Gauthier, mairie de Bordeaux